Par Tim Kuppler et Edgar Schein
Edgar Schein : Aperçus de la Cinquième Édition de Organizational Culture and Leadership
L’origine de sa motivation à écrire ce livre
Ed nous explique que sa motivation venait d’éléments observés lors de ses séances de consulting. Il partage notamment une anecdote en revenant sur le contraste entre son travail avec Digital Equipment Corporation (DEC) et Ciba-Geigy. DEC ne voulait pas qu’il leur dise comment s’améliorer sur quelque chose ; ils souhaitaient simplement qu’il les aide sur le processus du changement. Ciba-Geigy était à l’opposé puisqu’ils voulaient des conseils d’expert. Il se demanda alors ce qui se passait dans ces deux organisations.
Le concept d’ADN de la Culture
« Plus les années passaient, plus j’accumulais de l’expérience. J’ai réalisé qu’il existe ce qu’on peut appeler des facteurs d’ADN dans le génome culturel ». Ed, qui a toujours lutté contre la simplification de la culture, explique qu’il est plus intéressé par l’ADN de celle-ci. « Lorsqu’on tente de changer les cultures, quels sont les éléments qui deviennent des barrières imposantes ? »
Ed explique « On peut dire, par exemple, que l’on souhaite une organisation fondée sur l’esprit d’équipe. Si on suggère à une entreprise américaine que, peut-être, dans ce cas, elle devrait changer son système de récompense, s’orienter vers le travail d’équipe et responsabiliser les équipes, on peut constater un regard glacial de la part du client. Qu’il y a-t-il derrière cette résistance ? Ce qui se cache derrière montre qu’on ne gère pas la culture organisationnelle à ce moment-là. On gère avec l’ADN de la culture américaine, et l’ADN de la culture managériale, qui sont toutes deux fortement adossées à la responsabilité individuelle. »
On ne peut pas changer la culture à partir du milieu de la pyramide hiérarchique – Edgar Schein
L’importance des macro-cultures
« J’ai commencé à réaliser vers la fin de la quatrième édition que nous devions devenir plus international et regarder l’ADN propre aux systèmes de valeurs des pays ainsi qu’aux suppositions du pays en question sur comment les choses devraient être. Une des grandes différences dans la cinquième édition est une plus grande considération sur comment les organisations sont imbriquées dans des unités culturelles à plus grande échelle. Une entreprise américaine est basée aux États-Unis, mais cela peut également varier selon les États. Une organisation allemande est basée en Allemagne, et quel est le rôle de ces cultures nationales ? » Ed continue « En tant que changeurs de culture, ce que, probablement la plupart d’entre nous ici, nous nous efforçons d’être, nous devons apprendre à gérer ces facteurs d’ADN culturels dans le travail que nous faisons ».
Tout changement est affaire de relations
« On ne peut pas produire de changements si on n’a aucune relation avec le client. Seulement voilà, on découvre que chaque civilisation a établi sa propre discrimination au sujet de différents types de relations. Ed explique : À un certain niveau, nous avons une relation transactionnelle : distance professionnelle, liée au rôle et bureaucratique. Dans ces mêmes sociétés – et nous pensons aux États-Unis, par exemple – nous connaissons la différence entre une relation bureaucratique, distante, liée au rôle et une relation personnelle. »
Ed croit qu’il faut décider « si vous allez traiter l’autre individu comme un être humain à part entière, ou juste comme un représentant ou un rôle ». Ed a identifié la relation transactionnelle comme Premier Niveau et la relation personnelle comme Deuxième Niveau. Il pense que « une des raisons qui fait que nos efforts de changement ne mènent nulle part est liée au fait que nous restons au Premier Niveau de la relation. ». Il lui apparaît que nous devrions nous sentir plus concernés sur pourquoi ces organisations souhaitent un changement particulier, mais aussi sur ce qui les préoccupent. Ce thème est plus longuement abordé dans son livre Humble Consulting , « qui se concentre sur comment entrer dans une relation avec son client pour déceler ce qui se passe réellement ».
La Culture est un puits sans fonds de questions et de problèmes – Edgar Schein
Évaluations « Vite faites, mal faites » de la culture organisationnelle
Ed a abordé un tout nouveau chapitre co-écrit avec son fils, Peter Schein. Il y aborde notamment ces questionnaires informatiques bâclés (magiciels) promettant de révéler instantanément la culture d’une organisation, en à peine 10 questions. Ed croit que l’ADN de notre culture managériale conduit à l’émergence de ce type de test. « la culture managériale est très profondément liée à la mesure, au pragmatisme, au vite-fait, particulièrement au sein de la Silicon Valley » continue Ed.
Il encourage la mise en place d’agents du changement pour comprendre ce qui se trame avec le leader et pourquoi la rapidité des résultats est si importante pour lui. Mais aussi découvrir ce qui les inquiète et pourquoi ils ne considèrent pas un « sondage plus approfondi tel que celui qui est proposé par Human Synergistics ».
Pousser pour plus de précision sur la culture
« Je suis presque tenté, lorsque je m’occupe d’un client ou lorsque je coache, de dire : ayons cette conversation sans évoquer le mot culture », explique Ed. « Voyons où cela nous mène. Cela nous pousse à être précis. J’ai la même réaction que Rob Cooke vous a confié [lors d’une interview précédente]. Lorsque quelqu’un dit ‘ Je pense que nous avons besoin d’un style plus Constructif’, je dis ‘de quoi parlez-vous ?’. Je les force à évoquer des exemples qui pourraient ressortir dans nos questionnaires. Tant que nous n’accédons pas à une description comportementale de ce que le client entend par comportement Constructif, je ne saurais être utile ».
Le but de la mesure est clair comme de l’eau de roche une fois que vous savez ce que vous tentez de mesurer – Edgar Schein
Combiner l’analyse culturelle quantitative et qualitative
« Si un client nous dit vaguement « je veux comprendre ma culture », je ne conseille pas un outil quantitatif parce qu’il n’en existe aucun qui couvre le domaine entier de la culture. La culture est en effet très vaste. Le qualitatif doit alors ressortir : ‘Qu’essayez-vous de faire ? Quels problèmes essayez-vous de résoudre ?’ » Ed demande aux agents du changement de développer une relation de Deuxième Niveau et comprendre ce que les leaders tentent de faire avec ces évaluations. Ensuite, il sera « possible et pertinent d’utiliser un outil de mesure ».
Ed explique « l’avantage du quantitatif, c’est que nous pouvons gérer du nombre, les comparer et observer des tendances après un certain temps. Pour ce but-ci, le qualitatif n’aide pas beaucoup ». Après des analyses quantitatives, « nous devons retourner à du qualitatif puisqu’un programme d’intervention dans les organisations ne peut pas seulement se faire avec des chiffres. Les chiffres nous donnent grosso-modo ce sur quoi il faut travailler et la direction dans laquelle aller. Les étapes de l’intervention, ce que l’on fait au quotidien au sein de la structure, devront faire partie d’un process qualitatif parce qu’une organisation aura une variété d’aspects uniques et propres que le quantitatif ne saura déceler ».
Le Dirigeant doit s’emparer de la culture
Selon Ed, « si on veut vraiment gérer une variable spécifique de la culture, comme par exemple le degré de style Constructif, on doit commencer par le PDG. On ne peut changer la culture en commençant par le milieu de l’organisation hiérarchique. « Nous avons pu constater à de nombreuses reprises des changements très efficaces au milieu ou à la base de la hiérarchie ; puis un nouveau Directeur arrive et dit « qu’est-ce qui se passe ici ? » et change tout en une nuit. Cela arrive tout le temps. Par conséquent, si le thème de la culture est vraiment impliqué, le Dirigeant doit en posséder le contenu, qu’il ou elle l’admette ou non. »
Le Directeur doit s’emparer de la culture, qu’il ou elle l’admette ou non – Edgar Schein
« Ceux d’entre vous qui travaillent dans le domaine des RH ou du Développement Organisationnel ou tout autre poste auxiliaire, trouvez un moyen de séduire le Directeur Général pour qu’il s’approprie la culture. S’il vous dit ‘ je veux une nouvelle culture, mettez-la en place ‘, répliquez immédiatement et dites ‘vous avez une mauvaise conception des choses’. En tant que conseillers, nous ne pouvons pas la mettre en place mais nous pouvons vous aider à la mettre en place. Mais n’essayez pas de le faire seul parce que vous êtes trop vulnérable. Cela peut fonctionner un temps mais le Directeur et le bureau exécutif ont le pouvoir de changer les choses en une nuit et défaire tout le travail accompli. Je crois que les RH ne comprennent pas assez cela. Ils pensent qu’ils ont réellement le pouvoir de transformer la culture. Je ne pense pas que cela soit réaliste, il s’agit à mon sens d’une illusion. Le Directeur peut dire ‘Je suis d’accord, allez-y’. Mais ne le croyez pas tant que vous n’avez pas découvert l’ADN de cette personne et ce qu’il ou elle ne supportera pas lorsque vous commencerez à travailler dessus. »
A propos des auteurs :
Tim Kuppler
Tim Kuppler est le fondateur de L’Université de la Culture et Directeur du Développement organisationnel et de la Culture chez Human Synergistics, pionnière depuis plus de 40 ans dans le domaine de la culture organisationnelle avec la mission de « Changer le Monde – Organisation par Organisation ». Il gère la collaboration et les partenariats avec des experts de la culture, des entreprises de conseils, des industries et d’autres structures intéressées pour faire la différence dans leur organisation, leur parties prenantes et, à terme, la société.
Il a écrit Build the Culture Advantage, Deliver Sustainable Performance with Clarity and Speed, reconnu comme ressource incontournable pour construire une culture performante. Il a précédemment conduit des transformations culturelles majeures comme Directeur Exécutif senior avec des études de cas sélectionnées dans l’ouvrage best-seller de 2012 – Leading Culture Change in Global Organizations. Il a également été Président chez Denison Consulting, une entreprise de diagnostics et de consulting. Il est également un conférencier accompli et reconnu comme l’un des Top100 conférenciers du leadership par Inc.com.
Ses 20 ans d’expérience de la culture et de l’augmentation de la performance incluent un mélange rare de leadership exécutif, de coaching et de connaissances en coaching nécessaires pour aider les leaders à rapidement améliorer l’efficacité de leurs équipes et les résultats puisqu’ils se concentrent sur les priorités de performance essentielles, les défis et/ou les objectifs. Il est très actif sur les réseaux sociaux dans le domaine de la culture organisationnelle dans le but d’apprendre et appliquer les conseils les plus récents de nombre d’experts.
Edgar Schein
Ed Schein est diplômé d’un Doctorat en Psychologie Sociale de Harvard depuis 1952. Il a travaillé à l’Institut de Recherche Walter Reed pendant quatre ans et a ensuite rejoint le MIT où il a enseigné jusqu’en 2005. Il a publié Process Consultation Revisited (1999), career dynamics (Career Anchors, 4th ed. With John Van Maanen, 2013), organizational culture texts (Organizational Culture and Leadership, 4th Ed., 2010; The Corporate Culture Survival Guide, 2d Ed., 2009), and analyses of Singapore’s economic miracle (Strategic Pragmatism, 1996), and Digital Equipment Corp.’s rise and fall (DEC is Dead; Long Live DEC, 2003). Il continue à consulter et a récemment publié un livre sur la théorie générale et la pratique de donner et recevoir de l’aide (Helping, 2009) ainsi qu’un livre sur l’investigation (Humble Inquiry, 2013). En 2009, il a reçu le Distinguished Scholar-Practitioner Award de l’Académie de Management et a également reçu en 2012 le Life Time Achievement Award de l’Association Internationale du Leadership.