par Louisa Robb
J’ai eu le privilège d’animer récemment une session de développement pour une équipe de management, dont les membres souhaitaient mieux connaitre leur style d’interaction en tant que comité de direction.
Il s’agissait d’une équipe d’envergure internationale, culturellement diversifiée, composée de managers expérimentés gérant à eux seuls 4 000 employés, assurant la réalisation de tâches quotidiennes essentielles pour l’organisation, et définissant la stratégie future de leur division et ses implications sur l’ensemble de la compagnie.
Les leaders et les managers posent le contexte dans lequel les membres d’une organisation s’efforcent d’obtenir l’excellence et de travailler ensemble à la réalisation des objectifs du groupe. Le leadership contribue à modeler la culture. La culture, en retour, forme le leadership. Tous les deux conduisent vers la performance.
Alors qu’un nouveau mode opératoire était en cours d’élaboration, il est apparu essentiel de développer une conscience des comportements individuels et collectifs propres à cette équipe de management, et d’en étudier leur impact pour assurer un avenir plus sûr. Selon leur propre évaluation, la manière constructive à travers laquelle ils allaient être capables de travailler ensemble et de modeler leurs comportements, représentait un élément déterminant de la culture de leur organisation et du succès de leurs opérations.
Tous les membres de l’équipe de direction avaient au préalable reçu un feedback personnel sur leur style de pensée et de comportement en recourant à L’Inventaire des Styles de Vie[1] (Life Styles InventoryTM) de Human Synergistics (LSI 1 pour l’auto-description et LSI 2 pour la Description par les Autres). Ils étaient ainsi plus disposés à se souvenir de leurs domaines de développement personnels et de leurs atouts, et à réinvestir cette conscience dans l’exercice qui a suivi.
Déterminer les groupes
Pour forcer les membres de l’équipe à s’interroger sur la façon dont ils interagissent les uns avec les autres, j’ai utilisé la Situation de Survie du Feu de brousse (Bushfire Survival SituationTM), qui leur a demandé de travailler ensemble pour rechercher la meilleure issue possible, alors que le groupe est dans une situation létale. Les 11 managers ont été divisés en deux groupes, qui n’ont pas été faits au hasard. J’ai volontairement constitué les groupes selon les résultats de leur LSI 2 (la partie 360° feedback), qui traduisent une très forte tendance soit pour la partie « Orienté Tâche », soit pour la partie « Orienté personnes » du Circumplex. Cela donne ainsi une manière de voir, de mesurer et de changer les styles de pensée et de comportement connus pour impacter la performance non seulement des individus, mais aussi des groupes et des organisations. (Pour une explication interactive du Circumplex, cliquez ici).
Appelons « K2 » le groupe orienté « Tâche » et constitué de 6 personnes. En plus d’une nette tendance orientée vers la partie Tâche du Circumplex, le résultat moyen du groupe pour l’ensemble des comportements constructifs (qui traduisent la présence d’un équilibre entre le souci pour les personnes et pour la réalisation des tâches) était au niveau du médian historique. Par ailleurs, les membres de K2 avaient généralement surestimé leur sociabilité (qu’ils considéraient comme étant dans la moyenne) par rapport à la perception des autres.
Les comportements de sociabilité (affiliation), définis dans le LSI, reflètent un intérêt pour le développement et le maintien de relations personnelles agréables, permettant aux individus de se sentir impliqués.
Le profil de ce groupe K2 laissait apparaître un style prédominant Agressif/Défensif qui accorde plus d’importance aux tâches qu’aux individus (et où l’accent est davantage mis sur ses propres besoins au détriment de ceux du groupe). Les profils LSI de la moitié des membres de l’équipe laissaient apparaître une appétence extrême pour le Pouvoir, supérieure à 90% des personnes en général. On pourrait considérer ce groupe comme le groupe archétype « Alpha » avec beaucoup de fortes personnalités et « d’experts en la matière ».
La deuxième équipe, que j’appellerai « Eiger », comprenait 5 membres et était constituée des managers les plus orientés Personnes. Par opposition aux membres de K2, ceux de l’équipe Eiger ont sous-estimé leur niveau de sociabilité par rapport à la description des personnes qui ont renseigné leurs 360° LSI. Par ailleurs, ils ne se voyaient pas eux-mêmes aussi constructifs que ce que les autres semblaient considérer. De manière intéressante, cette équipe a, au total, des résultats supérieurs au médian historique en ce qui concerne le style de Dépendance (le besoin de se protéger soi-même associé à la croyance que l’on a peu de contrôle direct ou personnel sur les événements importants) et le style d’Approbation (besoin d’être accepté et tendance à lier l’estime de soi au fait d’être aimé par les autres). Ces styles font partie de l’ensemble Passif/Défensif du Circumplex, qui traduit une très forte orientation envers les personnes plutôt qu’envers les tâches, alimentée par le renforcement des besoins individuels de sécurité.
Combinées à l’intensité élevée des scores dans les styles les plus Constructifs « Sociabilité » et « Humanisme », ces tendances révèlent la forte orientation du groupe Eiger envers les personnes. Ceci les dépeignaient comme le groupe « Bêta », qui, bien qu’incluant le profil du directeur avaient tendance à vouloir être conciliants les uns avec les autres et à se comporter gentiment.
Il est temps de se mettre au travail
Tous les participants ont d’abord lu le scénario individuellement – un feu de brousse approche et certains objets susceptibles d’aider sont mis à disposition – et ont fait une évaluation personnelle, à partir d’une liste de 12 éléments, de ce qu’ils considéraient comme le plus et le moins important pour leur survie. Les groupes se sont ensuite formés et il leur a été demandé de refaire la même évaluation mais au niveau de l’équipe cette fois-ci, le tout dans un délai de 45 minutes. Des observateurs étaient présents aux abords de chaque groupe, écoutant et regardant le langage et le comportement employés.
K2 est allé droit au but, et il y avait beaucoup de bruit laissant suggérer une intense discussion. Le langage utilisé était énergique et direct, l’humeur joviale et bruyante. Le fait de se couper la parole les uns les autres et de répéter toujours les mêmes propos, même si quelqu’un avait entretemps suggéré une idée alternative, était loin d’être rare.
Aucun n’avait fait l’expérience personnelle d’une telle situation, mais un des participants avait été dans l’armée et avait par conséquent l’idée que les choses n’étaient pas aussi évidentes que ce que certains semblaient vouloir le laisser entendre. Consciente qu’ils avaient besoin de tirer des leçons de l’exercice, j’ai lancé un flash d’urgence au groupe K2, les informant que le feu était maintenant « imprévisible et catastrophique », sous-entendant qu’ils allaient peut-être vouloir reconsidérer leurs priorités.
Eiger, par comparaison, était relativement calme et maîtrisé, voire légèrement incertain sur la manière de commencer. Il n’y avait aucun remue-ménage, mais l’écoute et l’observation étaient évidents au fur et à mesure que le temps s’écoulait. Rigolant et souriant, ils étaient calmes et modérés dans leurs interactions. Les membres de l’équipe Eiger étaient sincèrement intéressés dans ce que les autres avaient à dire, et bien qu’ils n’étaient pas immédiatement certains de la juste priorisation des objets de survie, ils étaient suffisamment ouverts pour se laisser influencer au-delà de leurs préférences personnelles.
Aussi prévisible qu’un livre
D’après les enseignements de la psychologie[1], nous savons que c’est un comportement naturel pour nous que de considérer que nous sommes en possession de plus ou de meilleures informations que la personne qui est à côté de nous, et que notre jugement est plus susceptible d’avoir une valeur que le sien. Nous croyons que nos opinions sont de vraies et de précises perceptions de la situation, ce qui rend encore plus difficile tout changement de point de vue. Notre défi, en tant que managers rationnels et intelligents, est de passer outre cette croyance, surtout dans les situations où nous ne sommes clairement pas les «experts de la salle ».
A l’issue des 45 minutes de temps alloué, nous avons rassemblé les participants et sorti les outils de mesure. A l’aide du classement établi -par des experts- de l’importance des objets partagés, nous étions capables d’évaluer la qualité des classements à la fois individuels et par équipes. Dans un monde idéal, l’on souhaite que la connaissance individuelle et l’expérience des membres de l’équipe s’associent pour tendre ainsi vers quelque chose de plus abouti que ce que pourrait réaliser une personne seule. On espère qu’en associant ses compétences, on doit pouvoir produire une meilleure solution.
En ces temps incessant de défi pour le monde professionnel, la survie est un impératif réel, non imaginaire.
Cependant, le plus souvent, nos comportements interfèrent et nous agissons à travers des manières qui, bien que semblant sans conséquence ou considérées comme « naturelles », ont un effet négatif sur le résultat. Imaginez que vous soyez dans une situation de survie réelle ; imaginez que votre vie et celles de ceux qui sont avec vous, dépendent uniquement de comment vous êtes capables d’interagir les uns avec les autres. En ces temps incessant de défi pour le monde professionnel, la survie est un impératif réel, non imaginaire.
De retour à K2 et Eiger…
L’équipe Eiger a, avec succès, amélioré ses chances de survie en tant que groupe en surperformant ses meilleurs scores individuels de 40%. Ils ont été capables de réellement s’écouter les uns les autres et ensuite, d’utiliser de façon constructive cette connaissance partagée pour faire avancer les choses vers une meilleure solution. Ils étaient focalisés sur le but final, et à travers leurs comportements sociaux (affiliatifs) (qui n’ont pas été compensés par des tendances agressives de Pouvoir), ils ont assuré leur succès.
D’un autre point de vue, K2 s’est débrouillée, en tant qu’équipe, à sous-peformer ses deux meilleurs membres de plusieurs points de pourcentage – un résultat étonnement consternant pour cette moitié du comité de direction, aux manettes des destinées d’une grande partie de l’entreprise. En équipe, ils ont réussi à en détruire la valeur ajoutée ; leurs interactions ont produit un résultat beaucoup plus catastrophique que le meilleur tiers du groupe. Ils étaient manifestement incapables de s’écouter de manière constructive.
Alors que les rires et les moqueries autour des tables se sont tus, il y a eu un moment palpable de contemplation de la part de tous les managers expérimentés. Quel impact ces leaders allaient ils avoir sur leurs équipes et sur la culture globale de l’organisation ?
Je leur ai demandé si ce qui s’était produit était clair. L’un des participants de K2 a dit, sans manquer de lucidité :
« C’est évident. Eiger a été capable de réellement s’écouter et de se respecter les uns et les autres, tandis que nous, nous voulions juste frapper du poing sur la table jusqu’à ce que chacun se soit incliné à notre volonté, ce qui n’était pas prêt d’arriver puisque nous souhaitions tous la même chose! ».
Des leçons ? Il y en a tellement et de tellement évidentes….
- Nos comportements impactent les autres – si l’on frappe du poing sur la table pour attirer l’attention, pourquoi s’attendre alors à ce que les autres agissent différemment ?
- La force brute – ou plus spécifiquement, le Pouvoir – ne l’emporte généralement pas.
- Écouter est une compétence en soi, et non quelque chose qui arrive uniquement lorsque l’on n’a plus rien à dire.
- Être gentil et avoir un intérêt pour les personnes ne veut pas dire « être un pigeon » ou ne pas se concentrer sur les résultats réels de l’entreprise. Il est nécessaire d’avoir une compréhension à la fois des compétences « dures » (Tâches) et «douces» (Personnes).
- Et le principal : « Je croyais que je savais mieux que les autres. Clair et simple ! Mais non. Et je ne dois jamais partir du principe que c’est le cas ».
Les membres orientés Personnes, l’équipe Eiger, étaient plus capables de communiquer pour survivre dans ce cas-là. Et tous ont beaucoup appris, ce jour là, sur les risques de la pollution émotionnelle… quelque chose que la personne qui a été dans l’armée connaissait mais qui ne pouvait parvenir à se faire écouter par les membres de son équipe sur ce point.
Que pensez-vous de ces prises de consciences ? Quelle approche d’équipe avez-vous effectivement utilisée qui est focalisée à la fois sur le comportement et le résultat ?
J’attends vos commentaires et vos opinions.
Note de l’éditeur
Le Projet Aristote de Google redécouvre et renforce l’importance de « la sécurité psychologique ». « Les membres d’une équipe peuvent-ils prendre des risques sans se sentir inquiets ou embarrassés ? ». Des décennies de recherche, basée sur notre Circumplex, confirment que ce sont les normes et comportements constructifs – par exemple instaurer des buts, clarifier les plans et les rôles, et permettre le développement des uns et des autres – qui réduisent les comportements de protection de soi et favorisent le travail par équipe, les synergies et l’innovation. De plus, notre recherche a démontré que les styles Agressifs/Défensifs – tels qu’opposition et compétitivité – peuvent sembler favorables mais en fait, ils détruisent à la fois la sécurité psychologique et le type d’environnement de travail (fondés par les recherches de Google pour favoriser l’efficacité des hommes et des organisations).
A propos de l’auteure
Après 20 ans en tant que directeur financier international dans des postes expérimentés, y compris en tant que Président directeur général, DRH et Directeur de la Stratégie, Louisa a créé le cabinet de conseil spécialisé Lucella AG, basé en Suisse.
L’ambition de Louisa est d’apporter une voix claire sur le sujet de la culture d’entreprise, et l’aventure individuelle d’un leader, en tirant parti des compétences qu’elle a affinées au long de sa carrière dans la finance et à travers le déploiement de l’outil de mesure de la culture d’organisation (OCI) et des outils individuels d’évaluation de Human Synergistics.
Pour accéder à l’article original : http://constructiveculture.com/people-versus-power/
1 Laffety, J.C. (1973). Life Styles InventoryTM . Plymouth, MI : Human Synergistics
2 Hoorens, Vera (1993). « Self-enhancement and Superiority Biases in Social Compario », European Review of Social Psychology, Volume 4, Issue 1, 1993, pp. 113-139. http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/147927793430000040