20 réflexions sur la culture organisationnelle par Edgar Schein

Une interview approfondie avec un pionnier de la culture organisationnell

Grâce cette publication, vous pourrez accélérer le changement de votre culture organisationnelle. Chaque leader comprendra ici les bénéfices des réflexions critiques sur la culture ainsi que la résolution de problèmes, le changement, l’engagement, la stratégie, le recrutement et le consulting avec Edgar Schein, Professeur Émérite au MIT Sloan School of Management et personnalité la plus influente dans le domaine de la culture.

J’ai interviewé Ed pour la première fois lorsque notre blog a été lancé en 2014, et nous avions organisé une interview approfondie dans la foulée. Ed continue encore aujourd’hui à avoir un impact dans le domaine de la culture, et au-delà. Il a récemment créé l’Institut Schein de l’Organisation Culturelle et du Leadership. L’institut est dédié à l’avancement du développement organisationnel à travers une compréhension approfondie des cultures organisationnelles et professionnelles – comment elles émergent, se développent et évoluent.

Nous avons démarré cette interview avec un rapide résumé des fondamentaux de la culture et avons ensuite exploré la connexion de la culture et l’importance des sujets liés à la culture dans les milieux de travail tels que l’engagement, le recrutement pour une bonne adéquation culturelle, et la stratégie. La culture impacte clairement ces domaines mais cette connexion n’est pas largement comprise et est souvent simplifiée.

Les fondamentaux de la culture

L’extrait vidéo de l’interview ci-dessous couvre l’explication concise d’Ed au sujet des fondamentaux de la culture suivants :

1. Ne sursimplifiez pas la culture. Il s’agit en réalité bien plus que simplement « la manière dont les choses sont faites ici »

2. Concentrez-vous sur un problème et comment la culture l’influence, plutôt que d’essayer de changer la culture directement.

3. La culture aide mais fait également obstacle à la résolution de problèmes. Il est important de comprendre ces deux aspects.

4. Soyez très précis sur les questions de comportements : la manière dont ils impactent votre problème et les comportements que vous aimeriez voir dans le futur.

5. Le changement de culture organisationnelle peut évoluer à partir d’un changement de comportement modeste mais efficace. Pensez à la culture de manière systémique.

Ed nous a raconté une histoire à propos d’une conversation avec le directeur d’un hôpital écossais où il a fait une erreur tactique et s’est excusé auprès de lui par la suite, admettant son erreur. « L’une des choses qu’ils pensaient faire dans l’hôpital était de former les secrétaires à l’accueil pour qu’ils ou elles se montrent plus accueillants avec les patients. Je me suis gentiment moqué en lui expliquant que cela ne permettait pas d’aller en profondeur dans le changement culturel. Une fois exprimé, j’ai immédiatement réalisé qu’il s’agissait d’une terrible erreur. En fait, s’il formait les secrétaires afin que les patients puissent se sentir mieux, il est vrai que la meilleure humeur des patients pouvait influencer le personnel hospitalier et cela pouvait en effet être une bonne manière d’accélérer le processus de changement culturel. Commencez par quelque chose de simple et facile à mettre en place. »

6. Le changement culturel peut dans certains cas commencer par de grands changements pour tenir compte d’attributs culturels profondément enracinés.

Ed nous a décrit une anecdote à propos de Digital Equipment Corporation et comment leur culture tournait autour de l’innovation. L’entreprise aimait rendre les choses plus amusantes et complexes. Ed continue « tout le monde affirme que cette approche n’est pas viable, que le monde d’aujourd’hui aime plutôt des appareils simples et faciles à prendre en main. Il faut changer cela ». L’entreprise lui a alors répondu : « nous ne souhaitons pas faire ça. Nous aimons la culture que nous avons, la culture de l’innovation, et si celle-ci ne fonctionne plus, qu’il en soit ainsi. Nous n’allons pas changer ». Dans ce cas, suggérer tout un tas de petits changements n’aurait fait aucune différence ».

7. Il doit y avoir une certaine forme de résultats pour qu’un nouvel attribut culturel émerge

« Les gens travaillent avec l’illusion que s’ils changent le comportement, alors la culture changera tandis que ce qu’ils ont vraiment fait c’est de simplement changer le comportement. Si ce comportement est en effet plus apprécié des autres et produit de meilleurs résultats, alors dans la tête des gens cela signifie « oh, c’est vraiment une meilleure façon de faire » ; et si beaucoup de personnes ont ensuite le sentiment que « oui, c’est mieux d’être accueillant avec les patients » et que cela continue à fonctionner, alors un individu se rendant dans cet hôpital (ou lieu de travail) expérimentera cela comme faisant parti de la culture puisque tous se comportent ainsi, rendant ce comportement normé. Cette normalisation vient du retour d’expérience de l’environnement et non du chef exigeant un changement immédiat ».

« Si le changement de comportement est efficace et apprécié et qu’il devient une norme, alors on peut dire qu’il est devenu un changement culturel » – Edgar Schein.

8. Les dirigeants doivent porter plus d’attention aux subordonnés et les traiter comme des êtres humains pour encourager l’engagement

Nous avons discuté de l’état d’engagement des employés et comment les statistiques montrent qu’il n’y a pas eu beaucoup de changement ces 15 dernières années. Ed a eu une réponse intéressante : « Je vois un grand inhibiteur culturel dans la culture managériale américaine qui stipule qu’une fois que vous êtes le chef, vous n’avez pas vraiment à faire attention à vos subordonnés. Vous leur avez donné un descriptif du poste, il existe un système de récompense : « fais ton travail et ne m’embête pas ». Il s’agit d’un trait culturel ce « ne m’embête pas » de la part du chef. C’est un inhibiteur énorme qui tue probablement 90 % des programmes d’engagement. La solution culturelle serait pour un chef de porter plus d’attention à ses collaborateurs et de les traiter comme des êtres humains. Si vous arrivez à faire ce changement là sur la manière avec laquelle les managers voient leur job, il est probable que ce problème d’engagement se résolve de lui-même ».

9. Les avantages et les privilèges ne stimulent pas l’engagement

Ed continue : « D’un autre côté, si vous mettez en place un processus tortueux pour leur donner plus de loisirs, un lieu plus agréable, plus de privilèges, et ce genre de choses, tandis que les chefs continuent de toujours maltraiter les collaborateurs, cela ne vous mènera à rien. Les employés utiliseront toutes ces choses et en tireront avantage mais ne se sentiront pas engagés. L’engagement est par définition un problème humain et la raison pour laquelle il ne fonctionne pas, c’est parce que les chefs ne traitent pas leurs subordonnés comme des humains.

10. Lorsque vous recrutez une personne que vous souhaitez en adéquation avec la culture de l’entreprise, cherchez plutôt des points communs culturels importants entre l’individu et l’organisation

« Ce que j’apprécie, c’est d’identifier un minimum de points communs importants plutôt que de demander directement : « Est-ce que la totalité de ma personne a sa place dans cette imposante culture que je m’apprête à rejoindre ? » Aucune chance que cela soit possible ; cette question est trop vaste. « Est-ce que ce qui est vraiment important pour moi fera un minimum partie de ce job ? » L’adéquation à ce niveau-là fait sens ». Ed aime l’idée de s’appuyer sur ses propres « ancrages professionnels » afin d’identifier ces points communs. Chercher à vérifier si la culture m’offre l’opportunité d’évoluer dans un environnement orienté vers l’autonomie ou la sécurité est une façon intéressante d’analyser si j’y ai ma place ou non.

11. Ne recrutez pas uniquement des managers sur des critères de compétences managériales, mais également sur des critères de compétences humaines.

« Le recrutement doit posséder un caractère mesurable qui vous permette d’affirmer « Je recrute cette personne parce qu’elle a de bonnes compétences humaines et je ne donne pas suite à cette autre personne » – mais c’est mettre la charrue avant les bœufs. Les compétences managériales devraient être votre priorité, en y incluant les compétences humaines, mais vous ne recruteriez bien évidemment pas seulement des managers sympas juste parce qu’ils sont gentils avec les subordonnés. Cela ne répondrait pas non plus au problème. L’organisation existe pour travailler et j’ai pu observer des organisations, notamment chez Digital, où des chefs étaient vraiment de fieffés enfants de salauds mais adoraient leurs équipes et les prenaient au sérieux. Je ne pense pas que la formule « ok soyons juste sympas et recrutons des gens sympas » soit une solution ».

12. Développez les compétences humaines de vos managers, en commençant par une sérieuse sensibilisation

Afin d’améliorer l’engagement Ed croit qu’il faut d’abord commencer par développer les managers existants puis éventuellement envisager le recrutement de managers possédant les compétences humaines nécessaires. « Je préfère faire avec le management existant et faire sérieusement prendre conscience du problème aux managers en place et dire « Est-ce possible que vous ne compreniez simplement pas qu’il est de votre responsabilité de nourrir la connexion avec votre équipe pour réussir dans votre fonction et que s’ils échouent, vous échouez ? » Je pense que nous devrions essayer cela avant de modifier les politiques de recrutement. »

L’objectif d’une entreprise n’est pas de créer une sympatique culture de travail mais de se faire une place dans l’économie et fournir des biens et des services. – Edgar Schein

13. Définir ses valeurs et aligner l’organisation sur celles-ci ne devrait pas être une priorité pour le changement culturel organisationnel.

« L’objectif d’une entreprise n’est pas de créer une bonne culture mais de se faire une place dans l’économie et fournir des biens et des services. Une fois que ce concept est intégré, alors vous pouver concevoir une culture qui optimise l’adaptation de chacun à cette entreprise. » Ed nous parle ensuite d’un problème qu’il a l’habitude de voir, « Nous nous concentrons sur la recherche de solutions plutôt que sur l’acquisition de compétences de diagnostic et le développement de notre créativité.  Par exemple : la manière dont on gère une centrale nucléaire et la manière dont on gère un bateau de pêche. Il s’agit dans les deux cas d’une problématique sécuritaire mais ils ne requièrent pas la même culture technologique de sécurité. »

14. La stratégie d’une organisation est déterminée par la culture.

« Pensez aux entreprises dans un contexte historique. Elles ne viennent pas de nulle part ; elles viennent des créateurs et des leaders qui ont un ensemble de valeurs et une manière de faire les choses. Qu’on l’aime ou pas, IBM est devenue une organisation de vente et de marketing parce que c’est ce que Tom Watson Sr était, et c’est ce que son entreprise est devenue. 100 ans plus tard, on peut voir que cela continue à perdurer dans la stratégie d’IBM. La culture détermine la stratégie. De même, prenez n’importe quelle entreprise et voyez son histoire et d’où viennent ses valeurs. Elles viennent des biais et des théories des leaders et des créateurs.  Par définition et actuellement, la stratégie est culturellement déterminée par l’histoire. C’est pourquoi un consultant qui vient et ordonne presque de faire ceci ou cela est souvent très mal perçu parce que la culture qui est stratégiquement en place ne sera donc sensible qu’à certaines options. »

15. La clé de la stratégie et du changement stratégique est de lier la possibilité avec ce que nous sommes réellement culturellement.

« Je pense que certains éléments de la culture créative finissent par forger l’identité de l’entreprise. L’identité peut d’une certaine manière être le meilleur moyen de révéler cet élément culturel stratégique central. Les entreprises développent des identités, qui à mon sens sont des cultures, mais il est possible que le mot identité soit plus adapté à ce phénomène particulier… Les seuls changements qui fonctionneront à ce niveau sont des changements qui ont à la fois un potentiel de marché— et où on a investigué qu’il y avait une possibilité —et correspond à ce qu’on peut faire : l’identité de l’organisation (c’est possible et nous pouvons le faire). Si vous le faites seulement pour le marché (c’est possible), vous ne pourrez pas le faire. Si vous le faites pour l’identité (nous pouvons le faire), il n’y a peut-être pas de marché. De ce fait, le lien entre la possibilité avec ce que l’entreprise est réellement culturellement est la clé du changement stratégique ».

16. La culture est essentielle face aux défis sociétaux de la rapidité d’action et de l’efficacité car la complexité s’accroit

Nous avons abordé la question de savoir s’il est plus difficile d’engager des groupes à la résolution de problèmes du fait des tendances sociétales qui demandent des réponses et des solutions toujours plus rapides. Ed nous a fait part de sa réponse très intéressante : « Oui, je pense que c’est un fait, mais quelle est la contre-tendance ? Je pense que la contre-tendance est la complexité systémique… prenons l’exemple du secteur de la santé. Le chirurgien qui a cette attitude américaine du vite fait bien fait, réalise aujourd’hui des opérations plus complexes qui requièrent de collaborer avec les infirmières, la technologie, l’anesthésiste et découvre que la rapidité de résout pas le problème. Tisser du lien et des relations prend du temps ; et l’opération en elle-même peut prendre plus de temps et demande à être faite avec précaution. Je pense qu’en général les tâches deviennent plus complexes et qu’elles enseignent aux managers et aux employés que la vitesse et l’efficacité doivent être calibrés pour faire les choses correctement tout en travaillant en collaboration avec les autres. Est-ce que cela arrivera bientôt ? Je ne sais pas mais c’est la contre-tendance que je vois. »

17. Le bon employé du futur est celui qui adore apprendre

« Si le monde devient plus systémiquement complexe et interculturel, cela signifie qu’il faudra former et reformer de plus en plus puisque les postes évoluent. Peut-être que le bon employé du futur est une personne qui apprend et qui est constamment apte à vaincre sa propre obsolescence parce que tout change rapidement. Plutôt que de licencier les gens et de renouveler ses équipes, nous devrions trouver un moyen de faire avec les talents que nous avons et s’emparer de la question de la formation plutôt que d’occasionner des tragédies. »

18. Les programmes de formation devraient être en accord avec la culture actuelle ou alors il est nécessaire de changer la culture.

« Si la culture d’entreprise est en place, comment est-il possible d’avoir un programme de formation qui n’est pas en accord avec elle ? C’est littéralement se tirer une balle dans le pied. Alors si vous connaissez votre culture d’entreprise, soit la formation doit être en phase avec elle ou alors la technologie, le travail et les tâches effectués peuvent nécessiter un changement de la culture. C’est encore une autre manière de voir les choses. Prenez le talent existant et développez-le, et si nécessaire, changez la culture pour qu’elle s’adapte à vos talents – ce qui peut être fait par des étapes comportementales et non par un changement culturel instantané. »

Notre culture pragmatique qui stipule que le travail doit être fait, sans encombrer les autres de nos états d’âmes, fonctionne de moins en moins bien. – Edgar Schein

Nous avons conclu l’interview avec une discussion sur les nouvelles activités d’Ed.

19. Si vous êtes un consultant qui souhaitez apporter de l’aide, c’est important de construire une relation avec le client.

« On commence à reconnaitre l’importance du facteur relationnel. Notre culture pragmatique qui stipule que – le travail doit être fait, sans encombrer les autres de nos états d’âmes, fonctionne de moins en moins bien … La prochaine itération du livre « Humble Inquiry » se nommera soit « Humble Consulting » ou « Humble Helping » ou quelque chose de ce genre là où le premier argument est que si vous êtes consultant et que vous souhaitez apportez de l’aide, pas juste faire de l’argent mais bien apporter de l’aide, alors il est important de créer une relation avec le client… Nous devons reconnaître que nous sommes tous et toutes des êtres humains et développer de la confiance et de l’ouverture pour que nos communications permettent de vraiment dire la vérité. Je pense que les mots tels que relation, confiance, ouverture d’esprit sont aussi vagues que le mot culture et que si ce livre fait une différence, il s’agira de spécifier ce que signifie le fait qu’un consultant et un client devraient construire une relation. »

Une dernière réflexion sur la culture

J’ai demandé à Ed ce que j’avais oublié dans cette interview et ce qu’il pense que les lecteurs d’Human Synergistics devraient aussi comprendre sur la culture.

20. Nous n’avons pas assez appris sur les cultures professionnelles. Les problèmes ardus du futur necessiteront la construction d’équipes tenant compte de leurs cultures professionnelles et nationales.

« Et bien je pense que nous pouvons facilement passer à côté des aspects de la culture qui régissent réellement les choses et je pense que nous n’avons pas suffisamment appris sur les métiers. Je pense à l’hôpital. La culture des médecins et la culture des infirmières sont des forces puissantes, plus puissantes que la culture hospitalière… La notion de construction d’équipe à travers les métiers et les cultures nationales est une tâche bien différente de ce à quoi nous pensons aujourd’hui quand nous évoquons la collaboration ou le team building. C’est là où les problèmes futurs seront à mon avis. Nous l’observons aujourd’hui dans les hôpitaux. Ces équipes chirurgicales sont bien souvent des équipes multi-culturelles et elles sont constituées de métiers très différents. »

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Références et informations

Voir la vidéo entière de cette interview sur Youtube (52 minutes, en anglais).

Annonce d’un nouveau partenariat entre Schein Organizational Culture et l’institut du Leadership de Human Synergistics.

Note de l’éditeur : découvrez la publication la plus lue de Tim : 8 Culture Change Secrets Most Leaders Don’t Understand.

A propos de l’auteur :

Tim Kuppler est le fondateur de L’Université de la Culture et Directeur du Développement de la Culture organisationnelle chez Human Synergistics, pionnière depuis plus de 40 ans dans le domaine de la culture organisationnelle avec la mission de Changer le Monde – Organisation par Organisation. Il gère la collaboration et les partenariats avec des experts de la culture, des entreprises de conseils, des industries et d’autres structures intéressées pour faire la différence dans leur organisation, leur parties prenantes et, à terme, la société.

Il a écrit  Build the Culture Advantage, Deliver Sustainable Performance with Clarity and Speed, reconnu comme ressource incontournable pour construire une culture performante. Il a précédemment conduit des transformations culturelles majeures comme Directeur Exécutif senior avec des études de cas sélectionnées dans le best-seller de 2012 – Leading Culture Change in Global Organizations. Il a également été Président chez Denison Consulting, une entreprise de diagnostic et de consulting. Il est également un conférencier accompli et reconnu comme l’un des Top100 conférenciers du leadership par Inc.com.